— Paul Otchakovsky-Laurens

Pamphlet contre la mort

Prix du Zorba 2012

Charles Pennequin

Le pamphlet contre la mort se regarde comme quand on contemple longtemps un cercueil et qu’on imagine quelqu’un dedans. Dans ce livre, le cercueil sera le cerveau de toute l’histoire d’un type en dedans, avec sa vie, ses pensées, ses colères, ses amours, ses rêves et ses héros bas de plafond. Tout ça qu’il a voulu brûler par l’écrit. Tous les papiers du type qu’on imagine dans le cercueil. Toutes les paroles et ses manifestes qui l’ont traversés ces derniers temps et qui sont consignés, ici, dans cette cervelle de papier. Une cervelle pamphlétaire.

 

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La presse

Pennequin remue le couteau dans la plèbe


Un recueil de textes sur la famille et sur la mort par le poète hurlant


Charles Pennequin dit les choses qui ne se disent pas. Il n’a pas de goût pour les oripeaux bourgeois de la littérature, il préfère le cambouis de la vie. Il est né prolétaire, chose inouïe pour un écrivain français : « nous étions des âmes simples, des petites âmes de pauvres, des petites gens, des gens de petite fortune, des âmes pas granment compliquées, de la petite mitraille, de la misérable bière, du populo très tranquille, pas méchant pour un sou. »
On croit souvent (quand on est de gauche) que le populo ne peut pas exprimer, qu’il n’a pas accès au discours, ne le maîtrise pas suffisamment. S’il n’y a pas de littérature de pauvres, ce serait par incapacité, en quelque sorte, provoquée ou essentielle. Encore un effort si vous voulez vous faire entendre. En réalité, il n’y a pas de gradation, pas de pas à franchir. Le discours pauvre est autre et surtout inaudible, cachez cet assujettissement que nous ne saurions reconnaître : « nous étions les porteurs d’eau de notre destinée. » Si littérature prolétaire il y avait, elle dirait précisément la privation de sujet, serait sans sujet. « nous dérangions l’histoire avec nos paroles inintéressantes », note Pennequin, car ce que le « sans classe » a à dire est informe, ne peut s’insérer dans le grand récit classieux de l’argent et du sexe patrimoniaux.


Dictionnaire.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est ni la langue ni la parole qui sont en cause mais l’expérience elle-même. Car quelque douloureux que soit le vécu du démuni, du non-bourgeois, s’il veut le raconter, il achoppe à l’absence de formes légitimes. Pas le bon ton. Que ce qu’il ait à dire soit  inintéressant » signifie seulement que son expérience (les structures mentales familiales, en particulier) n’est pas reconnue, qu’elle manque en quelque sorte d’ambition – et pour cause, l’ambition est ce à quoi il n’a pas droit, qui n’est pas pour lui. Chez les non-bourgeois, le père est dénié au regard de l’ordre social. Dans la maison, il n’a pas de bureau. À la limite, il a le jardin, pour fuir : « papa, mon petit papa, mon petit papa pourquoi tu t’es laissé avoir, pourquoi tu t’es fait rétamer par la vie, par tout ce qui t’a pourri l’existence, pourquoi petit papa, pourquoi tu t’es fait traiter plus bas que terre dans l’existence mon petit papa, pourquoi même moi je t’ai pas parlé, je t’ai pas regardé, je t’ai pas vu ». Il faudra le mettre dans le dictionnaire des travailleurs anonymes qui « ont peiné toute leur vie sans rien qui passe dans les oreilles à part les ordres », et on écrira : « a cassé sa pipe à l’usine à force de travailler ». De l’autre côté, la mère toute-puissante pour établir le réel, lui donner forme, sans que la distinction puisse venir y mettre « bon ordre » : « pour façonner des vérités, il faut beaucoup de mauvaise foi. il faut battre des montagnes pour faire une vérité. et ma mère battait beaucoup de montagnes autour de l’époque de ma vie. elle y répandait son humeur noire. à moins que ça ne soit de l’humour. […] et nous voilà ainsi dévastés avant d’être, pensais-je en regardant le cercueil. »

Pamphlet contre la mort, c’est donc surtout contre cette dévastation socioculturelle et la souffrance qui s’en suit : « mon corps est qu’une concession / ce n’est qu’un trou / où sa pensée peut venir se plaindre du monde / je ne veux plus me fréquenter / je suis qu’un trou / un trou / avec du drame dedans ». Mais comment raconter cela, comment le partager (et surtout, avec qui) si « le langage est utile uniquement pour une chose : prendre les gens de haut » ? Comment faire des livres si nécessairement « il n’y a pas de lecteurs véritables. il n’y a que des thésards, dès les premiers mots ils vous ont tu », ramenant l’écriture d’une expérience interdite à des modèles connus, jusqu’à trouver sans doute que « charles pennequin radote sur les mêmes vocables et piétine sur ses anaphores » ?


Télé.


Évidemment il y a l’humour, et Pamphlet contre la mort, même s’il donne plus souvent envie de pleurer, rager, n’en manque pas, depuis le chapitre intitulé « c’est mort » où l’on apprend pourquoi il n’y a rien à la télé le soir (c’est que la télé est allée passer une soirée plus intéressante ailleurs, « pas chez moi en tout cas »), jusqu’à l’idée d’un numéro vert permettant de savoir que Pennequin réalise une performance, mais uniquement dans sa tête. Et puis, il y a le travail de poésie (poézi prolétèr comme disaient jadis Molnár, Doury et Tarkos), le contraire du racontar, le contraire de « se raconter des bobards pour éviter de vivre », car vivre c’est assumer de « visiter le cimetière de nos contemporains ».


Éric Loret, Libération, 31 octobre 2012.

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